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The Quills
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24 septembre 2007

Chapitre III

C'est notre regard
qui enferme souvent les autres
dans leurs plus étroites appartenances,
et c'est notre regard aussi qui peut les libérer.

-Amin Maalouf

S’il se trouve une habitude qui survit aux siècles, c’est bien l’appétit immodéré qu’ont les Hommes pour la fête. Le jeu, le rire, la danse et autre de ces joies qu’on s’accorde sans préavis, pour une quelconque raison, logique fut elle ou non. Les fêtes sont des occasions où l’on se réjouit dans le pur égoïsme, fermant l’esprit à la réalité du temps qui s’enfuit pour une valse, un verre, un éclat de rire ou un instant suspendu dans l’air, caché aux vue et aux su de tous dans l’envie pressante de partager le feu qu’attise le désir d’un regard, d’un toucher. Et quel autre lieu illuminé de féerie siérait davantage qu’un château pourvu de jardins interminables en guise de temple des plaisirs ?

La saison des fleurs posait légèrement ses ailes sur Paris, ses compagnes, son royaume entier : la France. Recouvrant de vert ce qui avant se peignait de blanc, colorant les compagnes, réveillant les jardins avec une note de douceur de parfum printanier. Ainsi, Mai commençait tièdement, caressant le pays paresseusement de timides rayons. Mais l’on aimait ce temps. L’on aimait cette saison. L’on l’aimait, elle.

Elle. On trouvait en ce mot, tout un prétexte à célébrer ; une entrée dans le monde. Elle. La cadette des D’Andrésy profitait d’une grande renommé au sein de l’aristocratie française. Sa beauté et sa haute éducation faisait d’elle l’un des parties les plus courtisés de Paris, et l’on attendait avec promptitude gourmande, ce soir ; Ses Seize printemps. Son bal de débutante.

Seize ans. L’âge tendre. La fraicheur de la jeunesse. La candeur de la beauté. Le rire des yeux. La joie de vivre. Elle. Seize ans. Elle et le monde à découvrir.

Camille d'Andrésy incarnait ce que la bourgeoisie faisait de mieux. Naïveté et gentillesse. Impatience et soif de savoir. Bercée de livres et de musique, elle avait en admiration sa grande sœur en qui elle voyait ce que la vie devait être. Et ce soir. Parée de ses seize ans, elle avait gagné le droit de poser le pied sur la première dalle de ce lieu qu’on nommait monde. Le monde. Leur monde qui ce soir, enfin, deviendrait sien.

Tourbillonnant et de couleurs et de mélodies et de senteurs, le château de Villandry, réputé aux jardins mirifiques faisait honneur à ses hôtes en cette nuit de gaieté. Les fiacres se suivaient dans la grande allée qu’il fallait traverser avant de descendre et remonter à pied, suivant le chemin du tapis rouge, les escaliers en pierres conduisant aux grandes portes ornées. Deux valets saluaient les invités qui continuait leur marche, ne leur jetaient ne serait ce que l’ombre d’un regard. Leurs sourires, furent ils esquissés à demi gardant la tenue de leur rang, ou clamant sans gêne le délice de ce que leurs yeux embrassaient, ou simplement ravi de leur présence en ces lieux, flattaient la magnificence du château majestueux des D’Andrésy.

La famille D’Andrésy faisait partie de la bourgeoisie française depuis assez longtemps pour obliger le respect et l’admiration de tous mais aussi leur jalousie. Plus d’un ne rêvait que du jour où son nom serait associé à celui des D’Andrésy, de près ou de lieu, dans des termes favorables, il en allait de soit ; Se prendre en ennemi cette famille estimable revenait à se livrer au diable. Mais plus que leur fortune, leur château et ses édens verdoyants, la fierté de M. et Mme D’Andrésy était sans nul doute leur progéniture. Un fils d’abord, comme l’on désirait ardemment, afin de remplir la rude tâche de la succession et la perpétuité de la richesse et la renommé. Mais aussi deux filles dont la beauté exquise et le charme envoutant faisant venir au château plus de prétendants qu’il n’en fallait. Ceux là même qui ce soir encore, loin de se faire accablés de leurs innombrables précédents refus, se faisaient honneur d’être présent dans l’immense demeure enchantée, guettant le moment adéquat où exprimer leurs sentiments faussement sincères, joliment formulés de quelques romans que leur mères, en excellentes marieuses et épouses, leurs faisaient réciter tel un verser du livre sacré. Toute cette mascarade pour un nom. Toute cette bêtise pour un monde d’illusion, d’apparence et d’hypocrisie. Mais l’on aimait ce monde. L’on aimait ce siècle. L’on l’aimait, elle.

Elle. Rien n’avait été délaissé aux affres du hasard en cette enfant devenue femme. Elle. Dont le sourire était devoir, comme peint sur un visage aux traits gracieux. Elle. Qui se devait de rester telle qu’on la pensait, n’osant point ne serait ce que l’affront du murmure d’un « non », d’un « je suis lasse », d’un « laissez-moi », d’un « je suis humaine ».

Vingt ans. Le bel âge. Le requiem de l’enfance. La beauté glacée. Les yeux éteints. La réalité percée. Elle. Vingt ans. Elle et le rêve fini.

Pauline D’Andrésy avait, comme toute jeunes filles de bonne naissance, eu quelques envies de pénétrer ce monde, reflet de joies légères et de plaisirs intarissables. Reflet de liberté douce et épanouissement sucré. Elle aussi avait eu seize ans, il fut un temps pas si lointain. Mais bien au-delà de l’attendu, du secrètement espéré, elle perçut bien vite le défaut de ce tableau aux sourires figés. Comme le sien. Une peinture colorée, envoutante de bonheur. Correcte. Comme eux. Néanmoins, à trop contempler l’ensemble, l’image se fait dérangeante. Et à fur et à mesure, les figures souriantes se déforment en un rictus mauvais, corrigeant les traits fins, brisant l’illusion de perfection de ce monde. Leur monde. Inévitablement, le sien.

Toutefois, elle se gardait bien de souffler mot sur ses pensées contraires aux bienséances que sa mère aurait sans doute eu vite fait de lui faire oublier en la liant au premier aristocrate au gilet élégant et au charisme terrassant venu. Et justement, il s’en trouvait un qui avait su retenir l’attention des D’Andrésy. L’unique petit fils du marquis de Ximenès.

« J’ai ouï dire que Sacha de Ximenès serait des nôtres ce soir ! »

Assise sur le lit, les yeux baissés sur son livre, Pauline ne releva pas le regard quand sa sœur lui adressa la parole d’un ton enjoué.

« Qui cela dis tu ? »

Camille laissa échapper un petit rire cristallin qui fit sourire sa sœur toute à sa lecture.

« Tu n’ignores point de qui je parle, Pauline » Réprima faussement la fêtée.

Pauline soupira, rencontrant le reflet de sa petite sœur dans le miroir en face du lit et devant lequel on s’appliquait à la coiffer.

« Cela t’étonne? Il semblerait que cet homme n’ait nulle autre occupation que celle de venir roder ici. » Répondit la jeune femme tournant une page du bout des doigts.
« Tu ne l’apprécie guère n’est ce point ? » Commenta la cadette.

Pauline referma lentement son livre, le posant sur les couvertures. Le tissu de sa robe bordeaux émit un léger bruissement quand elle se leva, rejoignant le fauteuil près de la fenêtre. Les lumières du jardin brillaient d’un éclat joyeux, dansant quelques instants dans son regard qui finit par s’y perdre.

« Ton silence est éloquent ma chère sœur. »
« Tu n’es pas sans savoir que ce genre d’hommes ne m’attire en rien. Ils ne voient en moi que la fortune et le prestige de père. Ils ne me voient pas. » Répliqua l’ainée d’un ton sec. « Et lui plus que les autres. Cette attitude suffisante qu’il arbore et ce narcissisme malsain ! Ciel que cet homme est vulgaire. »
« Mère ne partage point ton avis » Rappela Camille, faussement réprobatrice.
« Mère se fiche bien de mon avis petite sœur, seul celui de la société compte pour elle. »
« Qui y a-t-il de mal à prendre en compte l’avis de la société ? »
« Rien…mais ne vivre que pour cela est une autre chose. »

Camille soupira. Cette hargne insensée que commençait à nourrir sa sœur pour leur monde l’inquiétait plus que son soupir ne le laissait percevoir. Elle n’avait point souvenir de quoique ce fut qui ait pu blesser son aînée et de ce fait, faire naître tout ce cynisme venimeux envers cette société, que elle d’un autre côté, se faisait une hâte brulante à vouloir enfin rejoindre.

Les deux domestiques se retirèrent une fois leur tâche accomplie. Camille contempla son reflet longuement dans le miroir, songeant plus à sa sœur qu’à la perfection de sa coiffure.

« Pauline… ? »
« mmh ? »
« J’ai entendu mère s’entretenir avec père au sujet de…. »

Elle s’interrompit, se tordant les mains dans un geste nerveux. Devant son silence soudain, Pauline se retourna vers sa sœur et, la voyant ainsi tiraillée, se précipita à ses côtés. Doucement elle lui saisit les mains, et ancra son regard noisette dans le noir de celui de sa cadette.

« Qui y a-t-il qui te tourmente tant ? Qu’as-tu entendu ? » Question Pauline d’une voix calme.
« … Ils parlaient de fiançailles » Camille, troublée, ferma les yeux une secondes, soupirant. Puis saisissant le regard de sa sœur, elle poursuivit posément. « De tes fiançailles, Pauline. » Lâcha t elle finalement.

Elle ne tarda pas à sentir les mains de sa sœur, dans les siennes, se raidir. Pauline demeura muette, les yeux vides. Puis, un sourire indescriptible entre l’ironie et la tristesse flotta sur ses lèvres. Lentement, elle se détacha de sa petite sœur et revint à sa fenêtre, l’esprit ailleurs.

« Pauline… »
« Je refuse. » Trancha l’aînée.

Son ton froid fouetta l’air, glaçant Camille sur son petit tabouret.

« Tu ne peux… » Commença t elle mais s’interrompit. Elle ne pouvait pas. Pauline en était consciente plus que quiconque ; Un non ne serait pas toléré. Jamais.

« Je ne l’épouserai pas. Pas cet homme. »
« Pauline… » Essaya de raisonner la cadette mais sa sœur poursuivit.
« Non ! »S’écria t elle, haussant le ton.

Non. Ce mot, si souvent banni avait jailli de sa bouche comme un cri viscéral. Trop longtemps contenu en elle, cette rage avait explosé en un seul mot : Non. Il lui avait longuement paru que si elle osait ne serait ce que le chuchoter le monde autour s’effondrerait. Mais voilà ; Elle l’avait dit, même pas en un chuchotement étouffé ; Elle avait crié ce non comme on demande de l’aide, comme on se révolte sous les coups, comme on se dresse contre les autres. Non. Parce qu’elle savait qu’après, elle ne se risquerait plus à le redire.

« Non…Camille, je te prie de garder le flot de raison qui te brûle les lèvres pour toi. Non. Laisse-moi le dire tant que je le peux encore… Non. »
« …Bien. »

Le silence se fit. Gênant mais nécessaire. Camille s’en retourna à son miroir, posant une main distraite sur la parure qui scintillait à son cou, jouant avec. Pauline soupira et sa sœur arrêta son mouvement de main. Allait-elle réellement faire l’affront de refuser ? En avait-elle le courage ? Elle admirait son aînée pour sa détermination de feu mais cela ne lui nuirait il pas en de telles circonstances?

Pauline, je t’en conjure, ne fais rien de stupide. Souffla t elle en son for intérieur.

L’objet de cette supplication muette écarta un pant du rideau de soie. Son regard vide saisit encore une fois le paysage des jardins puis, il s’arrêta sur l’allée d’où se dessinait les fiacres, carrosses et autre calèches dont le flot d’invités qui s’en échappait ne semblait plus vouloir se tarir.

Des chuchotements à peine étouffées suivirent le bruit métallique du marchepied. Cinq jeunes hommes descendirent l’un à la suite de l’autre. Les regards de ceux qui montait déjà les marches se retournèrent, curieux. L’on ne semblait point les connaître mais ils avaient tout des qualités que ce monde exigeait ; Jeunesse et beauté, incontestablement leur été concédées mais aussi une sorte d’aura teintée de mystère. Immanquablement l’on se sentait une attirance pour ces étrangers à l’allure princière.

Pauline, du haut de sa fenêtre ressentit également ce trouble qui s’était emparé des présents, devant les portes du château, à la vue des cinq nouveaux arrivants. Son attention en retint un en particulier, dont le magnétisme singulier se faisait ressentir seulement à la vue de sa longue silhouette. La distance ne lui permettait point de distinguer les traits de son visage mais elle y devina une harmonie enfantine et un sourire qui se ferait tantôt malicieux, tantôt séducteur. Ce genre de charisme empreint de pureté sucrée adorable qui s’entrelace de piquante passion dévorante…
La jeune femme secoua légèrement la tête, chassant cette illusion de son esprit engourdit d’émotions diverses. Cet homme n’aurait rien d’unique, elle le devinerait à son rire probablement nasillard et ses yeux qui s’empresseraient de se frayer un chemin indiscret à la naissance de ses seins remontées par son corsaire de la dernière mode. Il finirait sûrement la soirée dans un état d’ivresse titubante et s’affalerait sur une chaise, s’endormant enfin jusqu’à ce qu’on le réveille pour le départ.

Oui, il n’aurait rien de nouveau lui non plus. Comme tous ces autres qui se voulaient dignes de sa main. Eux et ce Sacha de Ximenès. Les hommes se rejoignaient bien tous, aucun d’eux ne valait mieux que les autres, de cela, elle en était farouchement persuadée.

Et je devrai m’unir à l’un d’eux ! La damnation serait une bénédiction libératrice! Pesta t elle en ses pensées intimes.

…Faites attention aux souhaits formulés à la nuit…

Le jeune homme, qu’elle scrutait toujours, leva alors la tête en sa direction. Comme ayant entendu cette phrase blasphématoire, il avait posé son regard inévitablement sur sa personne. Et ces mots…
A ce contact invisible et cette voix imperceptible, le cœur de Pauline s’emballa furieusement. Elle sursauta, reculant d’un pas, se détachant de la fenêtre et ainsi de l’image de l’inconnu.

Sa main se porta instinctivement à son cœur qu’elle sentit cogner brutalement en elle. Ses joues de rouge se teintèrent et le trouble se saisit de ses yeux. Que venait-il de se passer ? Qu’était cette voix qui avait vibré à son oreille, et ce regard pourtant lointain qui avait percé le sien jusqu’à son âme. Cet homme…
…n’avait rien de ses semblables.

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