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The Quills
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23 septembre 2007

Chapitre II

Je plains ceux qui,
Ne tenant pas un journal intime,
N’ont aucune raison de noter
Ce qu'ils auraient intérêt à oublier.

-Philippe Bouvard

Paris, Janvier 1888

Que l’éternité semble longue….

…Pourquoi est-ce que j’use mon temps à poursuivre ces écrits dont le début m’échappe et la fin me nargue. Ce journal pourrait aisément me nuire à tomber entre des mains malintentionnées. Pourtant je continue à noter mes journées qui se suivent pour se ressembler inexorablement. Similaires même sans l’être, voilà ce qu’on appelle les tourments de l’infinité.

Je dois avouer que je m’inquiète ces temps-ci. Cela n’arrange certes pas mon humeur mais au moins, cela me change. Mes soucis portent un nom : Xiah.

Les nuits se suivent et lui s’enfuit. Il a beau le farder de ses sourires légers, je perçois distinctement ses pensées troublées, son anxiété pressée et son soudain penchant pour le brandy le plus pur. La délicatesse de l’ami laisse peu à peu place à l’imprévisibilité de l’inconnu qui se reflète dans son regard continuellement lointain.

Je devrais le suivre de temps à autre et sonder le secret cruellement menaçant de ses nuits d’évasion. Ce nœud en ma gorge que même l'absinthe non distillée n’a su défaire, me fait craindre d’obscurs desseins.

Paris, Février 1888

Je l’ai suivi. Rompant le pacte de nos sangs, je l’ai suivi jusqu’à son sanctuaire de perdition. Moi en qui il avait foi je l’ai suivi, trahissant son amitié et lui en qui ma foi se perdait m’a montré l’illusion de mes opinions sur sa personne. Voici donc pourquoi l’on se doit de se tenir à l’écart des affaires de ses amis ; la déception de ce qu’on y trouve n’a d’égale qu’un coup de poignard jusqu’à l’âme.

Nous étions encore à flâner merveilleusement bien installés sur les peut être trop agréables fauteuils du salon privé que nous occupions dans un quelconque établissement de bonne renommée ; le changement est un privilège que nous nous accordions librement. Michaël à son piano et Max perdu dans un livre, il ne restait que U-Know avec qui converser. Et je n’étais pas vraiment enclin à converser. Je me levai donc, exprimant l’envie de prendre l’air pour quelque secondes, et m’éclipsai dans la nuit froide des rues encore animées. C’est là que je le vis. Au fond, je n’étais pas dehors pour l’air, je pressentais sa rencontre ; L’un de ces dons qu’on qualifie d’obscures pour leur penchant à se manifester dans les instants où on les voudrait muets.

Ses pas rapides claquaient contre les dalles accompagnant sa hâte d’une mélodie agaçante dont il ne semblait pas le moins du monde conscient. Je compris alors que son empressement était tout sauf dû à son retard à nous rejoindre. Impatience grandissante et anticipée, à peine voulue et savourée ; Il aimait ce sentiment de danger que lui procure cet acte qu’il sait interdit mais dont il persiste la répétition depuis un mois.

Dans un bruissement à peine perceptible de ma cape, je le talonnai donc. Pas après pas, halte après halte, j’aurais aisément pu passer pour son ombre pendant les quelques minutes qui défilèrent au rythme de notre marche. Nous quittâmes le luxe agréablement parfumé pour la pauvreté pestilentielle de la populace. Rien de plus dégradant. Je m’étonnai de le voir ici bas alors que sa répugnance à se servir d’un verre à peine effleuré par un domestique le rendait irritable pendant les heures à venir.

Il s’engouffra dans une taverne à la façade repoussante, comme avalé par la crasse de l’établissement.

A cet instant je me dis que j’étais sans doute allé trop loin dans ma traque silencieuse. Une fois le secret de ses escapades percé que ferais-je alors ? Le confronter et me déclarer ainsi, aux yeux de tous, ami indigne de leur confiance qui a eu l’audace de suivre l’un des notre, me rabaissant au rang d’un vulgaire détrousseur. Jamais.
…Néanmoins, pour ma satisfaction personnelle et comme remède à mon monde de déjà vu, je fis fi de toutes mes résolutions éphémères d’amitié consciencieuse et entrai à sa suite.

Je peux encore, rien qu’en fermant les yeux, sentir cette puanteur qui assiégeait l’endroit rendant l’air lourd, écrasant, oppressant. L’envie de vomir me prit tandis que mon regard cherchait la silhouette familière dans la pénombre partielle de la pièce. Nulle part. Je ne le vit nulle part.

Paris, Mars 1888

Que l’imprudence du regret de l’inachevé est tyrannique. J’aurai dû le chercher. J’ai repris le chemin du « Duchesse » sans plus d’effort pour le retrouver dans le faible éclairage aveuglant du lieu de débauche.
…J’aurais dû, oui, j’aurais dû.
Mais je ne l’ai pas fait et à présent les conséquences sont irréversiblement fatales...

Il ne manquait que lui dans le salon de la chambre que nous avions retenue pour la nuit. D’un accord presque commun, la décision de dîner ensemble avait été prise. Diner ; Que ce mot résonne d’humanité…Il n’en est rien.

J’avoue que je ne suis pas particulièrement friand de ce procédé. Mais n’ayant pas le cœur à sillonner les ruelles sombres de Paris en ce soir pluvieux, je ne suivis donc pas Max quand il se retira, nous souhaitant une agréable soirée d’un regard dégouté. Il faut dire que le plus jeune d’entre nous est sans nul doute le plus respectueux du « protocole » ; un ramassis de règles qu’il se fait honneur et devoir de suivre, que nous autres avons fait mine d’oublier depuis longtemps.

Michaël à son éternelle partition inachevée et moi à mon ennui inaltérable, U-Know passa la porte en compagnie de deux créatures outrageusement peinturlurées. Le rire dérangeant et déjà à moitié ivre, elles chancelaient au bras de celui qui les avait sans doute gracieusement payées pour le suivre. U-Know jubilait. Je le voyais à ses yeux qui brillaient d’envie, de luxure. Je le sentais à sa voix devenue légèrement plus rauque. Je me sais le seul capable de percevoir ces changements chez mes frères. Je ne m’en vante pas pour autant mais pour ce qui est de U-Know, il est vrai que notre passé commun m’a instruit bien des choses sur le personnage ; Nous sommes allés plus loin que le stade de la simple amitié innocente mais nous ne le sommes plus ; Amants je veux dire. Toutefois, cela n’affecte en rien mes aptitudes à percevoir ses désirs quand ils se manifestent. Bien avant que lui n’en soit complètement conscient.

Les « demoiselles » s’affalaient entre les coussins, s’esclaffant sans raison apparente. Leurs toilettes bien que soignées, empestaient le Paris pauvre et la fornication à m’en faire vomir. Mais la faim se faisait plus présente. De toute façon, qu’elles fussent issues de la misère nous convenait davantage ; Personne ne poserait de question à la disparition de quelques putains sans le sou et leur maquereau aurait vite fait de les remplacer. Ce n’est pas les filles de joies qui se font rare même dans un siècle où on clame avoir trouvé la lumière.

Les notes légères de la mélodie de Michaël flottent dans l’air. Cela emplit la pièce mais n’étouffe pas pour autant la conversation de U Know et sa charmante compagnie. Notez mon ironie. Parlons un peu de mon ancien amant, j’aurais assez de mon temps pour relater ce qui est advenu de nous quand ce cher Xiah a fait une entrée des plus fracassantes. U Know ; Je ne citerai pas son passé mais m’étalerai plus sur sa façon de « chasser ».

C’est un séducteur, néanmoins pas de la même manière que l’est Xiah. Lui préfère converser des heures, poussant ses victimes à révéler leurs secrets les plus intimes, à s’ouvrir à lui comme on se confesserait le dimanche, les mains jointes, les yeux baissés dans une gêne pieuse. C’est ainsi qu’il agit. C’est ainsi qu’il prend tout son plaisir. Découvrir et connaitre, pour tuer et ruiner des vies qu’il garde en mémoire comme l’on collectionnerait des papillons desséchés. Macabre et malsain que ceci qu’il nomme son « art ». Cela l’est peut être…Qui suis-je pour le juger ?

« Monseigneur ! C’que v’z’avez comme talent ! Vot’ musique ne manque point de grâce je le jure sur la tête de ma pauvre mère ! C’est vous dire ! J’n’ai jamais entendu pareil son ! » S’exclama la rouquine des deux.

Sa voix, haut perchée, m’arracha un rictus. Se dandinant d’une jambe à l’autre elle semblait exécuter ce qui se rapprochait d’une valse…ou titubait-elle simplement ? Quoiqu’il en soit, elle alla écraser sa poitrine généreuse plus que raison sur le piano noir. Dans une grimace qui la rendait plus laide que nature, elle se donna un air de parfaite écoute et de compréhension infinie de la mélodie. Pathétique…

Mick lui adressa un sourire qui se voulait poli. Je le sais amusé de l’attitude caricaturale de la jeune femme. Il poursuivit son touché des notes d’ivoires ne la quittant pas du regard. Entre deux accords, le pianiste se saisit d’une main aux ongles rongés et sous l’émerveillement de la donzelle, lui baise la paume comme on effleurerait des lèvres une rose.

Une rose…voici l’exacte image que donne Michaël à ses victimes. Une rose dont la couleur et le parfum n’est su que de lui et lui seul. Il prend le temps de les humer, de les mémoriser pour en faire une partie intégrale de son être, de son œuvre ; sa musique. Chaque partition qu’il compose est un ensemble de roses dont il a pris soin de cueillir l’essence de ses lèvres. Il me revient un jour où il m’a parlé de la présence d’une mélodie dans chacune de ses proies. C’était, toujours selon lui, les battements de leurs cœurs qui faisaient vibrer leurs âmes de symphonies qu’il était certainement seul à ouïr.

Je m’admets un penchant pour sa façon de procéder. Il est bien le seul à agir de la sorte, percevant des choses que mes dons impénétrables ne me concèdent guère. Ceci n’est point de l’envie, je me sais incapable d’offrir quelque forme de considération déplacée pour mes proies. A mes yeux, ce ne sont que des êtres auxquels seul le tiraillement du besoin primal me lie.

De cette même main dont il retire sa bouche, il la fait asseoir à ses côtés sur le tabouret au coussin de velours. Elle s’exécute, riant à en briser le cristal que j’ai pris soin de vider avant leur arrivée. Michaël poursuit sa partition d’une seule main. De l’autre, il guide le poignet de la jeune femme à ses lèvres à nouveau, cette fois-ci elle ferme les yeux sous la caresse du souffle du pianiste sur la peau blanche, transparente à cet endroit. Son regard s’attarde sur les veines palpitantes et je sus qu’il y voyait une autre rose. Enfin, comme on découperait la tige, scellant le destin de la fleur, il pose ses lèvres en un baiser froid et puis…la rose se fane, comme ses sœurs avant elle.

Je m’en retourne enfin vers U-Know qui continue de parler à n’en plus finir. Mon regard, qu’il croise, lui fit comprendre que je n’étais plus disposé à attendre. Il mit fin alors à la conversation avec la jeune femme qui ne cacha point sa déception. Cela fut rapide ; S’il y a bien une chose que je partage avec U-Know, c’est bien notre répugnance à prendre notre temps une fois l’amusement tari.

Se défaire des corps est chose relativement aisée. Il suffit de les abandonner aux ténèbres d’une quelconque ruelle, ou de les jeter à la Seine qui les tire en ses profondeurs sales. C’est cette dernière option que nous choisîmes. U Know et Mick s’en chargèrent, tandis que je restai à préparer mon élixir vert en guise de … dessert dirons-nous.
Et puis le cours de la soirée reprit : Michaël à son éternelle partition inachevée, moi à mon ennui inaltérable et U-Know qui me narre la vie de cette gueuse dont il a pris soin de récolter les souvenirs pénibles d’une vie misérable dès ses premiers cris de nourrisson poisseux. C’est ce tableau que vint troubler Xiah dans un état d’affolement effrayé. Le regard égaré, les membres tremblants, il semblait être sur le point de s’affaler sur le tapis persan. Mais ce qui nous frappa, bien avant tous ces signes, fut ce qui souillait ses mains, sa chemise, son visage ; Du pourpre à nous enivrer l’esprit, à faire délirer nos sens.

« …Je l’ai tué… »

Ce fut l’unique chose qu’il hoqueta avant de s’effondrer à terre, son visage pâle baigné de larmes vermeil. Du sang, du sang…du sang.

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