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The Quills
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23 septembre 2007

Chapitre II

D'être hanté par mes vieilles obsessions,
cela me rassure.
Mieux vaut un cauchemar apprivoisé
que la blessure à vif d'un souvenir récent.

-Daniel Sernine

« -Princesse ? Ne t’éloignes pas veux tu ? »

La douce petite main si frêle se glissa dans celle de son père ; Grande, quelque peu rêche mais tiède et rassurante. Elle leva vers lui son visage souriant d’innocence, et ses yeux d’un bleu cobalt brillèrent de malice alors qu’un rire cristallin s’élevait dans l’air.

« -Bien, père » Assura-t-elle de sa voix claire d’enfant de huit ans. Elle hocha la tête, assurant ses dires, et les légères bouclettes de ses cheveux châtain volèrent un instant, frôlant ses joues blanches.

Michaël lui rendit son sourire, à la différence que le sien était attendrit : Sa petite fille, sa fierté. Elle était bien l’unique être restant au monde qui pouvait, sans prétention, se vanter de pouvoir encore lui procurer ce sentiment de bonheur que les Hommes se font un devoir de trouver tout au long de cette réalité où ils évoluent et que l’on appelle vie, quand ce mot se plait à encore avoir un sens dans ce siècle où la puanteur des rues amène les gens à ne plus plisser le nez au milieu des effluves nauséabonds qui s’étaient faits oxygène pour tous.
Un tout désolément majoritaire dont la plupart se trouvait sur la grande place du marché divisée en une classification de trois type de gens :

En premier, les vendeurs qui hurlaient leur halène pestilentielle, issue de leur dents gâtées jaunies ou noircies qui tombaient régulièrement laissant de vastes espaces noirs, postillonnant par la même occasion sur leurs étalages dont la plupart débordaient sur les côtés, rejoignant la pourriture au sol, promettant que leurs marchandises étaient les meilleurs que l’on pouvait se permettre de trouver sur les lieux avec un prix que beaucoup jugerait scandaleux au vu de sa petitesse. Fruitiers, poissonniers, bouchers, ou même charlatans et d’autres, tous se targuaient des mêmes avantages uniques à l’achat de leurs denrées mais la deuxième catégorie, n’étant pas aussi sotte que la grande bourgeoisie s’entêtait à dire, le peuple, la clientèle donc, avait une parfaite connaissance des choses à acheter et de celle à laisser, bien que le choix ne fut pas un luxe qu’il pouvait se permettre.

L’homme tira donc sa petite fille vers une rangée d’étalage plus loin, lui faisant éviter avec brio la dernière des trois espèces ; les mendiants et voleurs qui pullulaient dans le coin, faisant main basse sur les bourses qu’ils pouvaient atteindre, se moquant bien que ces quelques shillings fussent les derniers de cette pauvre dame déjà bien alourdie par le poids de ses courses, ou de cet homme à l’aspect si pâle que l’on s’attendait à voir vomir tout son être d’un instant à l’autre et de tomber raide mort au beau milieu de la crasse environnante.

Personne ne se souciait de personne, sauf quand une empoignade entre marchands débutait. C’était une attraction des plus réjouissante puisque l’on voyait des fruits, des légumes, voire même du poisson voler dans l’air et on pouvait espérer éventuellement en récolter quelques uns, gratuitement. Les produits seraient certes endommagés et pourris par endroit, mais qu’est ce qui ne l’était pas dans cette ville, dans ce quartier ? L’on fait ce que l’on peut, avec ce que l’on a, il était bon de le garder à l’esprit.

«- Bien le bonjour, Louis ! » Lança Michaël d’un ton jovial, scrutant les cageots aux couleurs multiples de fruits et légumes.

« -Vous v’là enfin M’sieur Mick ! J’vous ai bien arrangé vot’panier, » S’exclama le rouquin qui devait avoir dans la vingtaine. Son regard d’un marron tout à fait banal était bordé de tâches de rousseur qui lui donnaient un aspect quelque peu sale mais son sourire chaleureux et ses yeux rieurs le rendaient particulièrement sympathique. Se penchant vers la fillette, il ajouta « y s’pourrait même qu’y ai un p’tit qu’que chose pour not’belle Mamzelle Wendy. »
« -C’est WINDY ! » Morigéna l’enfant, croisant les bras sur sa robe blanche aux rayures bleues, affichant une moue boudeuse.

Les deux hommes se mirent à rire, ce qui leur valut un regard furieux.

« -Voyons princesse, ne sois point fâchée contre Louis, c’est ton ami »

Wendy l’ignora, toutefois elle sembla s’apaiser lorsqu’elle glissa furtivement un regard vers eux.

« -S’cusez Mamzelle We—indy » Se rattrapa t il, « C’est que vous avez déjà un bien joli prénom, pourq… »
« -Louis, sachez que je préfère Windy, tout comme le vent » Maugréa la petite.
« -Et pourquoi donc, Mamzelle ? » Demanda le garçon, souriant.

Son regard bleu s’illumina du sourire ravi dont se fendit son visage et levant les deux bras au ciel, elle se mit à tourner sur elle-même, faisant voler ses cheveux autour de son petit visage :

« -Parce que je suis liiiiibre comme l’aiiir » Chantonna t elle, poursuivant ses ronds sur elle-même sous les éclats de rires de son père et du jeune rouquin.
« -V’z’avez une gamine bien intelligente M’sieur Mick » Déclara Louis.
«-Evidemment ! Ne me dites pas que vous en doutiez, Louis ! »Tança Wendy qui cessa son manège.
« Je…non ! J’vous l’jure Mamzelle Windy, c’était simplement—»
« Allons allons, cesse de réprimander ce pauvre Louis »
« Mais je ne—»
« Wendy… »La prévint Michaël, d’un regard significatif.

La petite fille baissa la tête, penaude.

« Va, c’n’est rien Mr Mick !, Assura Louis. Tenez Mamzelle Windy, je vous donne cette pomme bien rouge pour m’escuser »

Wendy s’en saisit, visiblement ravie. Elle porta le fruit à sa bouche mais son père arrêta son geste.

« N’oubliez-vous point quelque chose jeune fille ? »

L’enfant se retourna alors vers le garçon, et fit une révérence :
« Merci »
« Y’a pas d’quoi, Mamzelle Windy »

Ceci fait, elle mordit enfin dans le fruit croquant, reportant son attention sur une vitrine plus loin tandis que son père discutait avec celui du rouquin qui revenait de leur camion avec un nouveau chargement de légumes.

C’était un vieux magasin de jouets, à la façade en vieux bois verni d’un bleu turquin tout aussi vieillissant, dont la vitrine sale laissait néanmoins voir trois magnifiques poupées de porcelaine dont les grands yeux tantôt bleus, verts et noir semblaient la fixer avec insistance. Vêtues de longues robes saumon, bleu poudre et verte, coiffées de petits chapeaux d’où dépassaient des boucles blondes, brunes, et noires, elles la fascinaient par leur beauté de glace. Se faufilant entre les passants après s’être assurée que Michaël était entièrement à sa conversation sur un quelconque sujet de « grandes personnes », Wendy se posta devant l’échoppe, tout en mâchant les morceaux de pommes d’un air absent.

« Ce qu’elles sont belles ! » S’émerveilla t elle, reprenant distraitement une bouchée de sa pomme.

Mais un mouvement dans la vitrine suffit à lui faire lâcher le fruit rouge. Wendy cligna des paupières plusieurs fois, se demandant si elle n’avait pas rêvé. La poupée à la chevelure noire l’imita et l’enfant reteint un cri de stupeur.

« Je te plais ? »

Pour toute réponse, Wendy recula d’un pas.

« N’aies crainte Windy. Je ne te veux aucun mal » Affirma la poupée, la scrutant de ses grands yeux peints de vert. Il semblait même qu’elle…souriait ?

La fillette resta immobile un long moment, continuant de fixer le jouet qui s’était apparemment tue sans pour autant cesser de la dévisager. Lançant un regard paniqué autour d’elle, et constatant que nulle âme ne lui prêtait la moindre attention, Wendy se décida enfin à s’approcher, retrouvant sa place initiale.

« C—Comment connais-tu mon prénom ? »
« Je voudrais devenir ton amie Windy, je veux, tout comme toi, être aussi libre que le vent»

La petite voix quelque peu nasillarde se perdit dans un souffle de ce qui aurait ressemblé à de la tristesse si le fait qu’elle fût un objet ne faisait obstacle à la possibilité de ressentir quoi que ce soit. Mais elle lui parlait bien et personne d’autre que l’enfant n’avait, apparemment, fait attention à cet étrange phénomène. Wendy avança encore, une main tendue devant elle, cherchant visiblement à poser sa paume contre le verre à la netteté douteuse de la petite vitrine.

« Elles te plaisent ? » S’enquit une voix derrière elle.

L’enfant sursauta violement, retirant précipitamment sa main, qui n’était plus qu’à quelques millimètres, à la surface lisse qu’elle s’apprêtait à rencontrer.

Wendy redressa la tête vers son interlocuteur et ses yeux s’élargirent un instant. La pensée que cet homme était l’être le plus beau qu’elle eu jamais rencontré s’imposa d’elle-même alors qu’elle le scrutait sans mot dire, paraissant avoir entièrement oublié le précédent objet de sa convoitise. Ce visage, ces cheveux noir de jais, ces yeux d’encre et cette peau si blanche à la limite de la transparence faisait ressortir le rose de ses lèvres, l’homme lui adressa un sourire amical, se mettant à sa hauteur sous le regard admiratif de l’enfant.

« Bonjour, comment te prénommes-tu princesse ? »
« W—Wendy !»
« Que voici un joli prénom, tu le portes à merveille, Wendy. » Il ponctua sa phrase d’un clin d’œil et elle rougit, le faisait rire.
« Sais tu que tu es particulièrement mignonne quand tu es gênée? »

Ses joues s’empourprèrent davantage et elle tourna la tête vers la vitrine, faisant mine de contempler les poupées alors qu’en vérité, elle ne faisait que jeter de furtifs œillades à l’inconnu toujours agenouillé à côté d’elle.

« Je ne suis point gênée, Monsieur. Quand bien même je le fusse, il est de mise de rougir sous un compliment, sans quoi la personne l’ayant adressé risquerait de s’offusquer du manque de courtoisie de la complimentée » Répliqua t elle sur un ton condescendant qui n’avait rien de celui d’une fillette de son âge.

S’il fut surpris par de tels propos, l’individu, toute fois, n’en montra rien. Il continua de brandir le même sourire bienveillant et porta également son attention sur les jouets docilement mis sous verre.

« De plus, il ne me semble point avoir agréé à mon tutoiement. »
« Il est vrai que sur ce point, encore, vous avez foi, jeune fille » Admit l’inconnu en se redressant. Elle le regarda exécuter une rapide révérence. « Veuillez me pardonner mon affront »

L’enfant le considéra un moment sans rien dire, puis lui adressa son plus beau sourire, qu’il lui remit sans attendre, reprenant sa place près d’elle.

« Dites moi donc, jeune Wendy, vous n’avez jamais répondu à mon interrogation. »

La concernée afficha son incompréhension la plus totale. Aussi, l’homme renouvela sa question du tout début, désignant les poupées.

« Vous plaisent-elles ? »

Retournant à la contemplation des trois poupées, Wendy se souvint de ce qui s’était passé avant l’arrivée tout aussi inopinée de l’homme près d’elle. Avait-elle tout simplement imaginé la scène ? Sûrement, après tout, une poupée ne parle pas ! C’est absurde. Rassurée par cette conclusion, l’enfant répondit enfin :

« Oui, beaucoup »
« L’une d’elles en particulier ? » Insista t il.

Bien malgré elle, ses yeux se posèrent instinctivement sur celle au regard de jade et elle se mordit la lèvre en repensant à ce qu’elle avait cru entendre : Je veux, tout comme toi, être aussi libre que le vent…

Ainsi donc, elle était prisonnière derrière cette vitre poussiéreuse…
Comme Maman.

Décelant la soudaine mélancolie dans les deux cobalts du visage de l’enfant, l’homme eut un sourire mystérieux que Wendy ne vit pas.

« Je reviens, veuillez m’attendre quelques instants. »

Et sans ajout, il disparut dans la boutique, laissant derrière lui un son clair de clochette.

Quelques secondes à peine s’écoulèrent avant qu’une main n’apparaisse derrière le verre pour s’emparer de la poupée que Wendy n’avait cessé de fixer de son regard absent aux reflets de tristesse lointaine. Cela la tira brusquement de sa rêverie, et elle n’eut pas le temps de réagir que déjà les deux émeraudes se trouvaient sous son nez, l’observant sans expression.

« Elle est à vous »

Incrédule, elle considéra tour à tour l’objet et le sourire de cet inconnu qui venait de lui brandir le jouet dont elle n’avait nullement exprimé le désir.

« Eh bien qu’avez-vous, jolie Wendy. S’exclama t il, visiblement amusé du manque de réaction de sa jeune vis-à-vis. N’est-ce point celle qui paraissait presque vous parler tandis que vous la dévisagiez avec insistance ? »

« De quoi est-ce—
« Je vous ai aperçu bien avant de venir vous saluer, L’interrompit il. Bien, voulez vous la prendre, je dois malheureusement partir, on m’attend ailleurs. »

Aussitôt dit, il nicha la poupée entre les bras d’une Wendy médusée, avant de se redresser de tout son long, dominant Wendy, qui lui arrivait à peine à la taille.

« Mademoiselle, ce fut un plaisir, Déclara t il en s’inclinant légèrement. Prenez grand soin de votre nouvelle amie, le fabriquant ne lui à point donner de nom, ce qui est fort dommage vous en conviendriez. Je sais que vous saurez la nommer comme il se doit ! Au revoir, Wendy»

Et lui adressant un dernier sourire, il tourna le dos pour repartir, se fondant dans la masse de passant, disparaissant aussi vite qu’il était apparut auprès d’elle.

Penaude, la fillette reporta son attention sur le jouet dans ses mains et vit quelque chose briller à son poignet droit ; Un anneau, en or. Bien trop grand pour le bras de la poupée, il lui fut donc aisé de le faire glisser dans sa main. Wendy fronça les sourcils à mesure qu’elle scrutait l’objet puisque celui-ci lui en rappelait singulièrement un autre…

« WENDY ! »

La voix grondante de son père lui fit faire un rapide volte face avant que le poignet de l’homme ne se saisisse du sien, manquant de lui faire lâcher le bijou. Michaël la traina ainsi jusqu’à quelques rues plus loin, comme s’il avait été poursuivi. S’arrêtant enfin devant une petite librairie, il se posta devant l’enfant qui n’osa pas lever les yeux vers son géniteur dont elle devinait aisément les traits déformés par la colère.

« QUE DIABLE FAISAIS TU LA BAS ! ES TU INCONSCIENTE ! JE T’AVAIS POURTANT PREVENUE DE NE PAS T’ELOIGNER BON SANG ! »

L’enfant baissa la tête sans mot dire.

« SAIS TU SEULEMENT QUE QUELQU’UN AURAIT PU T’AGRESSER VOIRE PIRE, TE TUER! »
« Je suis désolée, père » répondit l’enfant après un moment, dans une voix qui annoncer l’arrivée de larmes imminentes.

« TU NE—, Il se tut un instant, se disant qu’il était peut être allé trop loin. Ecoute ma chérie, je me suis inquiété en ne te découvrant nulle part à mes côtés. »

Il s’accroupit, et de ses deux mains, lui fit relever la tête. « Je te demande pardon de m’être emporté, tu sais que tu comptes plus que tout à mes yeux, Wendy »

Ses lèvres se posèrent un moment sur le front de la fillette avant qu’il ne l’étreigne contre son cœur. Elle s’y blottit, refoulant ses larmes, et lui murmura doucement qu’elle ne le referait plus. Mais sentant la poupée contre son torse, Michaël finit par défaire l’étreinte, se rendant enfin compte de la présence du jouet entre les mains de sa fille.

Un sourcil levé, il considéra l’objet puis questionna Wendy du regard. Celle-ci détourna la tête.

« D’où te viens ceci ? »
« Je—
« Ne me dis pas que tu l’a….WENDY ! »
« Non, non ! Je te jure que je ne l’ai point volé papa ! On me l’a offerte, quand j’étais devant le magasin tout à l’heure. »
« Qui te l’a offerte ?! Depuis quand est ce que ma fille accepte si facilement des présents d’un étranger ! » Vociféra t il, prêt à exploser de la même colère qui précédât.
« Père, ce n’—

Néanmoins elle s’interrompit quand son regard accrocha la bague au doigt de son père. Mais bien sûr !

« Parle, grand Dieu ! »
« Regarde » S’exclama t elle simplement, déposant l’anneau dans la paume de son père.
« Qu’est ce que—

Il se tut quand son attention se porta sur l’objet or. Ses yeux s’élargirent de stupeur tandis qu’il l’examinait sans toutefois oser y toucher. S’en emparant finalement, il le tourna de façon à vérifier ses craintes ; Il était bel et bien gravé de ce nom qu’il avait désiré taire à jamais. Et pour que nul doute ne demeure, les mots « Frères Eternels» se dessinaient de l’autre coté intérieur du métal.

« Mon Dieu…Murmura t il, à peine conscient des tremblements de ses mains. C’est impossible ! »

Mais l’inscription demeurait toujours, bien réelle, lui brûlant la vue de sa netteté immuable. C’était bien celle de ce frère perdu trop tôt, dont le corps n’avait jamais été rejeté aux rives de la Tamise.

Xiah, son frère éternel.

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